Baudrillard on the riots (Libération)

Aliette Guibert guibertc at criticalsecret.com
Sat Nov 19 10:58:04 CET 2005


Soory of French only, please to use your mechanical translator or I would
have too much mistakes in English; it is on the riots and more returning to
the referendum. The idea it is that of the desappearing identity of western
social realities to each one.
A.



Rubrique Rebonds in Libération
http://www.liberation.fr/page.php?Article=339243

Nique ta mère !/ Fuck your mother! (NTM)
Jean Baudrillard

Note: http://en.wikipedia.org/wiki/Supr%C3%AAme_NTM

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Voitures brûlées et non au référendum sont les phases d'une même révolte
encore inachevée.
par Jean BAUDRILLARD

QUOTIDIEN : vendredi 18 novembre 2005
Jean Baudrillard est sociologue.





    Il aura fallu que brûlent en une seule nuit 1 500 voitures, puis, en
ordre décroissant, 900, 500, 200, jusqu'à se rapprocher de la «normale»
quotidienne, pour qu'on s'aperçoive que chaque nuit 90 voitures en moyenne
brûlaient dans notre douce France. Une sorte de flamme perpétuelle, comme
celle de l'Arc de triomphe, brûlant en hommage à l'Immigré inconnu.
Aujourd'hui reconnu, le temps d'une révision déchirante, mais tout en
trompe-l'oeil.

Une chose est sûre, c'est que l'exception française, qui avait commencé avec
Tchernobyl, est révolue. Notre frontière a bien été violée par le nuage
radioactif, et le «modèle français» s'effondre bien sous nos yeux. Mais,
rassurons-nous, ce n'est pas le seul modèle français qui s'effondre, c'est
le modèle occidental tout entier qui se désintègre, non seulement sous le
coup d'une violence externe (celle du terrorisme ou des Africains prenant
d'assaut les barbelés de Melilla), mais encore de l'intérieur même.

La première conclusion ­ et ceci annule toutes les homélies et les discours
actuels ­ c'est qu'une société elle-même en voie de désintégration n'a
aucune chance de pouvoir intégrer ses immigrés, puisqu'ils sont à la fois le
résultat et l'analyseur sauvage de cette désintégration. La réalité cruelle
c'est que si les immigrés sont virtuellement hors jeu, nous, nous sommes
profondément en déshérence et en mal d'identité. L'immigration et ses
problèmes ne sont que les symptômes de la dissociation de notre société aux
prises avec elle-même. Ou encore : la question sociale de l'immigration
n'est qu'une illustration plus visible, plus grossière, de l'exil de
l'Européen dans sa propre société (Hélé Béji). La vérité inacceptable est là
: c'est nous qui n'intégrons même plus nos propres valeurs et, du coup,
faute de les assumer, il ne nous reste plus qu'à les refiler aux autres de
gré ou de force.

Nous ne sommes plus en mesure de proposer quoi que ce soit en termes
d'intégration ­ d'ailleurs, l'intégration à quoi ? ­, nous sommes le triste
exemple d'une intégration «réussie», celle d'un mode de vie totalement
banalisé, technique et confortable, sur lequel nous prenons bien soin de ne
plus nous interroger. Donc, parler d'intégration au nom d'une définition
introuvable de la France, c'est tout simplement pour les Français rêver
désespérément de leur propre intégration.

Et on n'avancera pas d'une ligne tant qu'on n'aura pas pris conscience que
c'est notre société qui, par son processus même de socialisation, sécrète et
continue de sécréter tous les jours cette discrimination inexorable dont les
immigrés sont les victimes désignées, mais non les seules. C'est le solde
d'un échange inégal de la «démocratie». Cette société doit affronter une
épreuve bien plus terrible que celle de forces adverses : celle de sa propre
absence, de sa perte de réalité, telle qu'elle n'aura bientôt plus d'autre
définition que celle des corps étrangers qui hantent sa périphérie, de ceux
qu'elle a expulsés et qui, maintenant, l'expulsent d'elle-même, mais dont
l'interpellation violente à la fois révèle ce qui se défait en elle et
réveille une sorte de prise de conscience. Si elle réussissait à les
intégrer, elle cesserait définitivement d'exister à ses propres yeux.

Mais, encore une fois, cette discrimination à la française n'est que le
micromodèle d'une fracture mondiale qui continue, sous le signe précisément
de la mondialisation, de mettre face à face deux univers irréconciliables.
Et la même analyse que nous faisons de notre situation peut être répercutée
au niveau global. A savoir que le terrorisme international n'est lui-même
que le symptôme de la dissociation de la puissance mondiale aux prises avec
elle-même. Quant à chercher une solution, l'erreur est la même aux
différents niveaux, que ce soit celui de nos banlieues ou des pays
islamiques : c'est l'illusion totale qu'en élevant le reste du monde au
niveau de vie occidental, on aura réglé la question. Or, la fracture est
bien plus profonde, et toutes les puissances occidentales réunies le
voudraient-elles véritablement (ce dont on a toutes les raisons de douter),
qu'elles ne pourraient plus réduire cette fracture. C'est le mécanisme même
de leur survie et de leur supériorité qui les en empêche ­ mécanisme qui, à
travers tous les pieux discours sur les valeurs universelles, ne fait que
renforcer cette puissance, et fomenter la menace d'une coalition antagoniste
de forces qui la détruiront ou rêvent de la détruire.

Heureusement ou malheureusement, nous n'avons plus l'initiative, nous
n'avons plus, comme nous l'avons eue pendant des siècles, la maîtrise des
événements, et sur nous plane une succession de retours de flamme
imprévisibles. On peut déplorer rétrospectivement cette faillite du monde
occidental, mais «Dieu sourit de ceux qu'il voit dénoncer les maux dont ils
sont la cause».

Ce retour de flamme des banlieues est donc directement lié à une situation
mondiale ; mais il l'est aussi ­ ce dont il n'est étrangement jamais
question ­ à un épisode récent de notre histoire, soigneusement occulté
depuis, sur le même mode de méconnaissance que celui des banlieues, à savoir
l'événement du non au référendum. Car le non de ceux qui l'ont voté sans
trop savoir pourquoi, simplement parce qu'ils ne voulaient pas jouer à ce
jeu-là, auquel ils avaient été si souvent piégés, parce qu'ils refusaient
eux aussi d'être intégrés d'office à ce oui merveilleux d'une Europe «clés
en main», ce non-là était bien l'expression des laissés-pour-compte du
système de la représentation, des exilés de la représentation ­ à l'image
des immigrés eux-mêmes, exilés du système de socialisation. Même
inconscience, même irresponsabilité dans cet acte de saborder l'Europe, que
celles des jeunes immigrés qui brûlent leurs propres quartiers, leurs
propres écoles, comme les noirs de Watts et de Detroit dans les années 60.

Une bonne part de la population se vit ainsi, culturellement et
politiquement, comme immigrée dans son propre pays, qui ne peut même plus
lui offrir une définition de sa propre appartenance nationale. Tous
désaffiliés, selon le terme de Robert Castel. Or, de la désaffiliation au
desafio, au défi, il n'y a pas loin. Tous ces exclus, ces désaffiliés,
qu'ils soient de banlieue, africains ou français «de souche», font de leur
désaffiliation un défi, et passent à l'acte à un moment ou à un autre. C'est
leur seule façon, offensive, de n'être plus humiliés, ni laissés pour
compte, ni même pris en charge. Car je ne suis pas sûr ­ et ceci est un
autre aspect du problème, masqué par une sociologie politique «bien de chez
nous», celle de l'insertion, de l'emploi, de la sécurité ­, je ne suis pas
sûr qu'ils aient, comme nous l'espérons, tellement envie d'être réintégrés
ni pris en charge. Sans doute considèrent-ils au fond notre mode de vie avec
la même condescendance, ou la même indifférence, que nous considérons leur
misère. Peut-être même préfèrent-ils brûler les voitures que de rouler
dedans ­ à chacun ses plaisirs. Je ne suis pas sûr que leur réaction à une
sollicitude trop bien calculée ne soit pas instinctivement la même qu'à
l'exclusion et à la répression.
La culture occidentale ne se maintient que du désir du reste du monde d'y
accéder. Quand apparaît le moindre signe de refus, le moindre retrait de
désir, non seulement elle perd toute supériorité, mais elle perd toute
séduction à ses propres yeux. Or, c'est précisément tout ce qu'elle a à
offrir de «mieux», les voitures, les écoles, les centres commerciaux, qui
sont incendiés et mis à sac. Les maternelles ! Justement tout ce par quoi on
aimerait les intégrer, les materner !... «Nique ta mère», c'est au fond leur
slogan. Et plus on tentera de les materner, plus ils niqueront leur mère.
Nous ferions bien de revoir notre psychologie humanitaire.

Rien n'empêchera nos politiciens et nos intellectuels éclairés de considérer
ces événements comme des incidents de parcours sur la voie d'une
réconciliation démocratique de toutes les cultures ­ tout porte à considérer
au contraire que ce sont les phases successives d'une révolte qui n'est pas
près de prendre fin.
J'aurais bien aimé une conclusion un peu plus joyeuse ­ mais laquelle ?



J.B.

Dernier ouvrage paru -FR- : Les Exilés du dialogue ;
avec Enrique Valiente Noailles (Galilée, 2005).










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